Trieste, la ville sans hôpital psychiatrique

Publié le par autrelieu.over-blog.com

Revenant d'un séjour à Trieste (Italie),  l'Autre "lieu" (httpp://www.autrelieu.be) a pu mesurer le chemin parcouru depuis la fermeture de l'hôpital San Giovanni par le psychiatre Franco Basaglia et la Municipalité en 1977 et comprendre, par des visites et des rencontres, l'organisation des services sur le territoire.

 

En 2008, dans le cadre du 30ème anniversaire de la Loi 180 (1978) qui a supprimé les hôpitaux psychiatriques en Italie (non tous les patients sortis de l'établissement n’ont pas été abandonnés à la rue, écrasés par les voitures ou enrôlés dans les Brigades rouges…), toute une série d’événements ont eu lieu à Trieste sur "les institutions de la désinstitutionnalisation" et l' « institution en invention ».

 

Trieste compte une population de 265.000 habitants. A la place de l'HP, Il existe un Département de santé mentale avec 4 Services de santé mentale qui fonctionnent 24h sur 24 avec chacun 8 lits d'hospitalisation et d'hébergement. Une petite unité d'urgence psychiatrie est située dans l'hôpital général avec 6 lits d'hospitalisation.

 

Ce qui frappe dans les SSM, c'est la disponibilité des "opérateurs" pour recevoir tout à trac, à l'improviste, des personnes qui vont mal et soutenir une présence, le temps qu'il faut, sous des modalités qui allient accueil, aide et soins. Une forte équipe s'est constituée pour des soins et un accompagnement à domicile, dans le milieu de vie. Des personnes qui ont "débarqué" dans le Service de santé mentale et qui ont pu y rencontrer le jour même l'aide et les soins adéquats peuvent souvent regagner leur domicile et être suivies par les équipes mobiles dans les jours et semaines qui suivent. Quitte à revenir passer du temps tous les jours dans le Service qui est loin d’être exclusivement un Centre de consultations mais constitue aussi un endroit d’accueil, de déambulation, de repos (avec un jardin où les usagers peuvent se promener).

 

Toute une gamme de ressources est aussi intégrée au Département de santé mentale (hébergement thérapeutique, club de jour, coopérative sociale avec formation-insertion travail,  self help, service d'aide aux personnes toxicomanes) dans une perspective d'inclusion (beaucoup de liens entre les quartiers de la ville et les lieux en question). Il y a comme un "style affectif" et "socio-politique" qui me rappelle les débuts des structures intermédiaires dans les années 60 et des SSM au milieu des années 70).

 

Les hospitalisations sous contrainte sont peu nombreuses et durent vraiment peu de temps. C'est un certain type de disponibilité et de travail par rapport à des situations même complexes qui permet cette situation et par ailleurs la question de la dangerosité est abordée autrement, sur base d'une déconstruction de plus de près de 40 ans des représentations au sein de la population (et de ses élus) qui alliaient maladie mentale et dangerosité.

 

En cas de besoin, les prisonniers ont recours aux services de santé du territoire, ce n'est pas l'administration pénitentiaire qui gère les soins.

 

A noter :

1) le rôle pivot des services de santé mentale fonctionnant 24h/24

2) la conception intégrée et intégrative des services (pas de juxtaposition-puzzle d'institutions)

(le tout par rapport aux besoins de la population sur un territoire donné et non plus par rapport à des hôpitaux psychiatriques donnés comme tels)

3) "la maladie comme valeur ajoutée pour la communauté", comme « biais » de réflexion sur  de nouveaux rapports non ségrégatifs entre une « existence-souffrance » et « le « corps social »

 

La maladie mentale touche à l'exigence du vivre-ensemble et de la Cité démocratique qui en principe réinvente des liens et des places non-imposés par la nature, la culture ou le destin : un espace non contingenté qui rompt avec la "police des places"; c'est cela la justice…

 

L'enjeu des courants progressistes est de ramener la question de la folie au cœur de  la cité, sur le lieu même de son exclusion.

 

En 2008, c’était le 30ème anniversaire de la loi 180 de fermeture des hôpitaux psychiatriques en Italie : il s’agit d’une loi de santé qui risque de « médicaliser » la folie et de faire abstraction de la complexité de ses implications sociales et individuelles.

 

La méthode de Franco Basaglia, qui a mené bataille pour le démantèlement des hôpitaux psychiatriques et une nouvelle organisation des soins dans le milieu de vie, est une méthode de suspension du discours médical de la psychiatrie (et pas de négation de la maladie mentale) qui s’engage dans le monde la vie : le moment heureux où l’on peut commencer à affronter les problèmes d’une manière différente.

 

La fermeture d’un hôpital psychiatrique acquiert la valeur d’un témoignage qui oblige la cité à une confrontation nouvelle avec la folie.

 

Comment peut-on échapper au savoir psychiatrique positiviste ? Peut-on comprendre la folie sans la détresse et le pessimisme de la clinique du défaut qui réduit la folie à un fait de nature, la maladie mentale à un appauvrissement cognitif et affectif, à une dégénérescence, à un événement sans explication, si ce n’est parfois à une lésion du cerveau ?

 

Il faut se départir de ses préjugés et de ses certitudes scientifiques pour chercher à saisir, en même temps que le sujet, le moment original où son expérience se constitue. Cela signifie une rupture d’avec la science universitaire et une recherche d’une science capable de produire du sens. Mettre la maladie mentale entre parenthèses signifie suspendre le jugement sur la maladie mentale, suspendre le discours construit jusqu’alors sur la maladie mentale et produire un savoir jusqu’alors inécouté, celui des psychiatrisés. Le travail thérapeutique s’amorce au moment où se noue un nouveau lien social, « entre hommes libres » espérait Basaglia.

 

La destruction des institutions et des rôles (la désinstitutionnalisation de la folie) – pour que d’autres institutions et d’autres rôles puissent être inventés et puis à nouveau détruits (l’institution en invention) – est l’impasse à travers laquelle la psychiatrie doit passer pour pouvoir se libérer de ses nœuds : le nœud de l’hôpital psychiatrique, ultime garantie pour les contradictions sociales sans solution, et le nœud du rôle du technicien, ayant la prétention d’un savoir déjà acquis mais étant incapable d’accueillir l’autre.

 

La politique n’est pas une réponse à la folie, la politique n’est à certain moment historique que le moyen le plus radical de laisser la question ouverte. La question exige la réponse d’un savoir différent, un savoir qui, comme l’écrit Foucault « n’est pas fait pour comprendre mais pour prendre position ». Un savoir qui n’explique pas, qui ne garantit pas, qui ne classe pas et ne rassure pas mais qui plutôt prend position : une connaissance, certes, mais avant tout une éthique.

 

L’équipe est composée de psychiatres, d’infirmiers, d’éducateurs et d’opérateurs en réhabilitation psycho- sociale (diplôme accessible à certains ex-patients et à d’autres personnes pas nécessairement déjà diplômées mais qui s’intéressent à la santé mentale).

 

Il existe une estime réciproque entre les psychiatres et les patients.

 

Il existe 4 services de santé mentale qui fonctionnent 24/24. 6 lits d’urgence psychiatrique. Les patients y sont admis pour un jour ou 2 puis sont (re)pris en charge immédiatement par des membres d’un des 4 SSM, pour une hospitalisation en SSM (max 15 jours) et/ou des soins à domicile grâce au concours de fortes équipes mobiles. L’idée, c’est que ce soit le psychiatre et les infirmiers qui aillent « consulter »  chez la personne dans son milieu de vie.

 

Il y a une vision très large du travail. Quand les gens arrivent dans les SSM, les intervenants pensent avec eux aux questions à court, à moyen, et à long terme. Notamment concernant le logement, un des déterminants d’une vie de meilleure qualité dans la Cité.

 

Un des fondements de la psychiatrie alternative italienne est de passer d’un statut de patient à celui de collaborateur. Ils reçoivent alors une bourse d’état pour travailler dans le social ou l’artistique ou encore pour entreprendre des formations professionnelles qui se passent dans des coopératives sociales. Les intervenants et usagers développent des projets pour créer du travail, même pour des ex-patients très handicapés. Cela permet aux gens de trouver un emploi et un revenu lié à un revenu de travailleur  à la place d’une allocation de remplacement.

Coopératives sociales italiennes

La reconnaissance officielle de la coopération sociale est finalement intervenue en novembre 1991 avec la loi 381, qui prend acte de son développement et légitime, avec peu de modifications et en imposant quelques limites, la formule de coopérative sociale telle qu’elle s’était constituée de façon autonome. Cette loi fonde l’originalité de la coopération italienne.

Elle institue en particulier un nouveau type de coopérative, l’appelant « sociale » et l’articulant selon deux typologies : les coopératives qui gèrent des services sociaux, sanitaires ou éducatifs, dites de type A, et celles qui exercent des activités d’insertion professionnelle pour les personnes défavorisées, dites de type B. Elle reconnaît explicitement que de telles coopératives poursuivent « l’intérêt général de la communauté, en vue de la promotion humaine et de l’intégration sociale des citoyens » (dans son article 1). Elle reconnaît que les personnes engagées au seul titre de bénévoles peuvent être membres de ces structures. Elle reconnaît l’existence de rapports privilégiés entre les coopératives sociales et les administrations publiques, et les réglemente. Elle leur reconnaît des avantages fiscaux.

Pour les coopératives de type A, les principales filières d’activité sont aujourd’hui des services tels que l’assistance à domicile, les communautés thérapeutiques, les maisons de repos, les crèches ; les publics cibles sont les personnes âgées, les mineurs, les personnes handicapées, les toxicomanes, les malades psychiatriques, les malades du sida.

Les coopératives de type B s’investissent, de leur côté, dans l’agriculture, l’entretien des espaces verts, les services de nettoyage et d’assainissement de l’environnement, la blanchisserie, l’informatique, la reliure et la typographie, la menuiserie, la restauration, le déménagement etc. Ces activités sont effectuées par le personnel de la coopérative, c’est-à-dire des travailleurs « ordinaires » et des travailleurs « défavorisés » tels que des handicapés physiques et psychiques, des patients psychiatriques, des toxicomanes, des détenus bénéficiant de mesures alternatives ou des adultes marginaux. Pour ces coopératives de type B, la loi exige qu’un minimum de 30 % des emplois salariés soient réservés à des personnes en insertion.

Parmi les coopératives, un tiers environ sont des coopératives de type B. Le chiffre d’affaires annuel de la coopération sociale est estimé à environ 5 milliards d’euros.

C’est en se positionnant comme un partenaire privilégié des pouvoirs publics, et notamment des collectivités locales, dans le domaine des services de proximité et de l’insertion que les coopératives italiennes ont connu cet essor. Aujourd’hui, elles sont de plus en plus ouvertes à une « clientèle » autre que les pouvoirs publics, des acteurs privés qui représentent maintenant plus d’un quart des structures ayant recours aux services des coopératives sociales.

 On parle beaucoup de la souffrance au travail. Les malades doivent permettre aux patrons de réfléchir sur l’existence de conditions de travail plus humaines.

 

Dans ce processus de collaboration mis en place, certains patients qui vont mieux peuvent aussi devenir des « pairs aidants» et être engagés dans des centres de crise pour aider d’autres patients.

 

Une visite fut faite d’un « micro-zone » de santé dans l’ancien hôpital de Trieste. On y trouve, entre autres, un service de dépistage gratuit du cancer, un pédiatre, et un service pour les jeunes parents qui ont un premier né et qui ne savent pas s’en sortir. Il y a l’accueil ouvert sans rendez vous et des rendez vous fixés. Il y a aussi des psychologues et des logopèdes. Ils font un travail de crise mais pas de psychothérapie. Leur philosophie, c’est d’étudier les besoins, et de voir si la personne peut trouver de l’aide dans leur environnement immédiat. Ils essayent d’abord de résoudre les problèmes au niveau social.

 

Le dossier médical : médecine plus intégrée au niveau généraliste mais aussi social – familial – situation socio-sanitaire. Ils  ne passent pas leur temps à définir la pathologie, chaque intervenant professionnel rempli les cases qui le concernent et le dossier concerne surtout les capacités, les intérêts, les ressources personnelles, psychologiques, relationnelles et pratiques de la personne.

 

Le Club Zyp lui, à partir d’un lieu de passage pour les gens « désœuvrés » qui peuvent avoir accès à un ordinateur, à un bar, un club de rencontre, conduit à des initiatives culturelles et économiques en lien avec la ville. D’autres services font du travail à domicile quand les gens vont habiter seuls. Le centre continue à les suivre.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Basaglia CAL de Bruxelles place Roupe (pt conférence du mercredi 12 septembre à 20h)<br /> Présence de planning familiaux et d’hôpitaux (psychiatriques) ont fait une armistice et se sont développés de façon différente. Plein d’initiatives particulières…mais il sont resté dans la<br /> pilarisation…un des effets de la reforme serait de « dépilariser » les services.. mais le réseau est une bonne chose mais pê aussi entendu de différentes façons ! la réforme 107 ne devrait pas tuer<br /> la diversité des initiatives. On travaille aussi à partir du territoire.<br /> En gros on traite l’usager dans son milieu de vie…<br /> Le toubib a dit aussi qu’au début de ses études, on traitait les usagers de façon individualisée et que les camaraderies étaient mal vues voire interdites…<br /> <br /> L’italien a dit qu’avant on se plaçait sous le paradigme de la nécessité déclinée de 2 façon : la révolution ou la réforme…bref ce sont là des autoroutes de la pensée<br /> L’italien proposait un paradigme des possibles qui passe par la désinstitutionalisation, l’autonomie et les droits effectifs (aussi bien d’aimer que de travailler) (parler de capacités) et la ce ne<br /> sont plus des autoroutes mais il faut « fendre » son chemin…<br /> avt : soin et contrôle (privation de liberté et de droit est courant en psychiatrie)<br /> devant cela soit on gère soit on ouvre un débat démocratique et social dans la psychiatrie comme dans le quartier où on réinsère les usagers…<br /> <br /> ps n'oubliez pas le festival des libertés au National...<br /> http://www.festivaldeslibertes.be/fase6.php?event=521
Répondre
J
très beau comme programme (et qui donc existe en ITalie dumoins dans la ville de trieste...)<br /> txt bien écrit et qui dit bcp! bon resumé condensé quoi...qui parle quoi...!!
Répondre